Vers un MOOC francophone de référence

Dans un précédent billet de synthèse, j’ai tenté d’esquisser les composantes du MOOC idéal, selon mon regard d’apprenant. Plusieurs commentaires m’ont invité à aborder la question sous un autre angle, celui des enseignants : que mettre dans son MOOC pour qu’il soit réussi ? C’est l’objet du billet d’aujourd’hui. 🙂

Plutôt que d’écrire un pavé, je fais faire synthétique ; si tu souhaites que je détaille un argument, n’hésite pas à le demander en commentaire ou sur Twitter.

Synthèse Vers un MOOC francophone de référenceSujet

Si le thème est déjà (bien) traité dans un MOOC anglophone, je ne vois pas l’intérêt de réinventer la roue et de tout refaire en français. C’est un avis polémique, j’en ai conscience ; j’estime qu’il y a encore de nombreux sujets non ou mal traités et qui mériteraient un MOOC francophone.

Bien entendu, cela ne vaut que si le sujet ne nécessite pas une approche différente selon les pays (ex : création d’entreprise, droit du travail, programmes scolaires… dans ces cas spécifiques, il est utile de créer une “déclinaison” locale).

Cela m’amène à une idée que je défends depuis longtemps : promouvons tout particulièrement les MOOC qui portent sur la culture francophone, sous tous ses aspects. Je suis allé jusqu’en Australie pour approfondir mes connaissances sur la Révolution Française ; en Malaisie pour m’initier aux vins ; aux USA pour mieux comprendre l’héritage de mathématiciens comme Borda et Condorcet dans les systèmes de vote. Il y a des tas de gens compétents et passionnés, dans les pays francophones, qui auraient pu s’emparer de ces thèmes, non ?

Alors à quand un MOOC sur Sartre ? Sur le fromage ? Sur les Micmacs ? Sur l’art baroque français ? Sur les enjeux du développement de l’Afrique de l’Ouest ? Sur la culture cajun, sur l’Art Nouveau, et même, bon sang, sur le recyclage des déchets nucléaires ?

Je trépigne d’impatience…

Plateforme

C’est sans doute le paragraphe de cet article qui se périmera le plus vite : les principaux LMS redoublent d’efforts pour devenir une référence. Coursera est très solide mais fermé (oui, j’aime l’open source…) et ne semble plus beaucoup évoluer ; Open edX vient d’améliorer un de ses gros points faibles (les forums) et inclut de nombreux outils comme le support de LaTeX pour les formules mathématiques ; Canvas est jeune et prometteur (cf MOOC d’Unow) mais son “flagship”, Canvas Network, n’est pas très bien achalandé…

J’ai un faible pour edX. Le projet est porté par le MIT et Harvard, on sent qu’il a été conçu par des scientifiques… FUN, la plateforme financée par le gouvernement français, a également fait ce choix. Pour un MOOC scientifique, je pense que c’est la solution la plus évidente, et même en sciences humaines elle devient performante (cf deux MOOC que je te présenterai bientôt, sur les héros de la Grèce antique et sur l’entrée du Japon dans l’ère moderne).

Synthèse Vers un MOOC francophone de référenceVidéos

Quelques “bonnes pratiques” :

  • plusieurs enseignants (2 ou 3), au moins sur certaines vidéos
  • pas de lecture de notes (ou alors un prompteur discret…)
  • pas plus d’une erreur (corrigée par écrit après coup) par vidéo : c’est si compliqué que ça, de réenregistrer quand on se trompe ? Tss…
  • une image de fond pour illustrer le propos, oui ; plus de dix mots par slide (hors citations), non (j’ai l’impression de donner des conseils à un ado qui va faire son premier exposé en classe, mais que veux-tu…)
  • des sous-titres en français et en anglais, relus par un tiers (pas de Google Trad, par pitié !)
  • de la HD, partout ! On n’est plus en 2004 !
  • des liens pour télécharger vidéos et slides pour une lecture hors-ligne

Autres médias

Un MOOC ne doit jamais se résumer à “vidéos + quizzes”. Sinon ce n’est pas un MOOC, c’est un cours en ligne (ça ne veut pas dire qu’il est inintéressant, loin de là, mais on change de modèle).

Les médias que tu peux introduire dans un MOOC sont très variés et dépendent du sujet abordé ; citons d’abord quelques incontournables :

  • les réseaux sociaux : faut-il vraiment que je revienne dessus ? Oui ? Bon, vite fait alors. Pour promouvoir l’entraide entre apprenants (le meilleur moyen d’apprendre, c’est d’enseigner). Pour fidéliser. Pour faciliter le feedback, pour rendre les enseignants plus accessibles, pour faire connaître le MOOC… Humf, la liste est longue, ça pourrait faire un article à part, je crois. Il y a même des expériences de MOOC 100% réseaux sociaux, comme le TwittMOOC !
  • l’audio : enregistrement historique, interview (toujours accompagnée d’une transcription en pdf), sample…
  • le texte (évite toutefois d’en faire 80% de ton contenu, comme c’est parfois le cas sur les cours de Canvas Network…)
  • les liens hypertexte : n’oublie pas que tu touches un public très varié, et que certains étudiants seront demandeurs de ressources complémentaires et d’ouverture vers l’extérieur. Donc Wikipedia, sources d’articles scientifiques, mais aussi articles de journaux, forums, etc

Et puis, selon le sujet, n’hésite pas à diversifier les supports et outils. C’est ludique, ça permet d’impliquer davantage les étudiants (en particulier les gros MOOCophages qui piaillent de joie quand tu leur proposes une activité totalement inédite pour eux… ^^), et cela permet de sortir du système “j’écoute, je retiens, je passe le quiz et j’oublie” en expérimentant d’autres schémas.

Tu veux des exemples ? Le déchiffrage de manuscrits anciens (Deciphering Secrets), le drag & drop d’images pour faire une classification (Visualizing Japan), repérage sur une carte (Geodesign), l’utilisation d’un programme informatique pour simuler la formation de planètes dans un jeune système solaire (Greatest Unsolved Mysteries of the Universe), l’élaboration d’une recette médiévale (England in the time of King Richard III)…

Certaines activités ressemblent parfois à des gadgets, mais c’est parce qu’elles ont été ajoutées “pour le fun”, sans réel intérêt pédagogique. Essaie plutôt de te demander “qu’es-ce que je veux faire apprendre ?”, puis de piocher dans cette boîte à outils celui qui te semble le plus approprié… et pourquoi pas de l’inventer. 🙂

Synthèse Vers un MOOC francophone de référenceExercices et évaluations

Il faut des quizzes, c’est chouette les quizzes. Distingue bien les deux sortes de quizzes :

  • dans les vidéos ou juste après, non notés (ou maximum 20% de la note finale), juste pour valider que l’apprenant a écouté et retenu les notions essentielles de chaque leçon ;
  • une fois par semaine, une série de questions (si possible sous divers formats : QCM avec plusieurs réponses correctes mais une seule donnant tous les points, calculs numériques, etc) testant la compréhension. Les examens finaux des MOOC d’astrophysique sont des modèles du genre ; certains quizzes d’Emergence of Life aussi (hé oui, tu peux étudier les empreintes fossiles de deux dinosaures se poursuivant pour calculer si le prédateur risque d’attraper la proie, tout ça sous forme de QCM !)

Les quizzes ne sont qu’une petite partie de l’évaluation, la moins chronophage pour l’étudiant. La fameuse “évaluation par les pairs” (peer review) est indispensable. Elle peut prendre plusieurs formes :

  • un exercice très cadré, avec une série de questions appelant des réponses courtes et ciblées. Exemples : élaboration progressive d’un design d’interface (Human-Computer Interactions), analyse des attentes d’une personne de notre entourage et synthèse d’une discussion (Better Leader, Richer Life)…
  • un format type “essai” (courte dissertation, de 300 à 1200 mots) pour répondre de façon argumentée et structurée à une question complexe. Exemples : géopolitique, histoire, mais aussi sciences cognitives

Il y a toujours une part d’injustice dans cette forme d’évaluation (certains étudiants sont de vrais trolls et notent volontairement n’importe comment) ; il existe plusieurs méthodes pour limiter le problème (suppression des min/max, promotion des évaluations complètes et constructives…) mais cela ne doit pas, selon moi, masquer les deux points essentiels :

  • l’évaluation par les pairs est un outil pédagogique indispensable, très motivant et instructif, et tout bon MOOC doit y faire appel (ne serait-ce que sous une forme optionnelle) ;
  • elle ne doit pas représenter 100% de la note finale (exemple perso : j’ai failli rater ma mention sur The French Revolution à cause d’un plouc qui mettait 0 à tout le monde ^^)

Il y a une troisième forme d’évaluation, souvent négligée : le bonus de participation. Il peut être accordé pour une contribution remarquable aux forums, pour l’animation d’une page sur les réseaux sociaux, pour la traduction des sous-titres dans une autre langue ou même (quand les enseignants sont humbles…) pour le signalement d’une erreur dans le cours. N’oublie pas que la raison d’être d’un MOOC, c’est d’interagir (si tu veux simplement apprendre, “boire le savoir”, un cours en ligne suffit). Tout ce qui encourage les 95% d’étudiants silencieux à sortir de leur coquille et participer aux échanges est positif.

Un dernier mot sur les attestations ou certificats : si tu en proposes en version payante, annonce-le clairement. N’essaie pas de duper ton auditoire en leur faisant miroiter un document gratuit si ce n’est pas dans tes plans. Si tu peux offrir une attestation gratuite, c’est préférable, cela ne diminue pas le nombre de “clients” de l’offre payante (ils seront toujours là, ne t’en fais pas pour ça) et cela donne une motivation supplémentaire à pas mal d’étudiants pour aller au bout du MOOC.

Synthèse Vers un MOOC francophone de référenceL’équipe

Tu es enseignant ? Tu as plein d’idées, du temps libre et veux monter un MOOC ? Génial. Fonce, mais pas tout seul.

Tu as besoin d’aide sous deux formes :

  • des “teaching assistants” : ils relisent tes cours, corrigent les typos, savent répondre à 95% des questions des apprenants sur le contenu et le fonctionnement du MOOC, ajustent manuellement les “peer reviews” si nécessaire… Ce sont souvent des étudiants ou anciens élèves de tes cours “classiques”, ils maîtrisent bien le sujet et vont être ton relais pédagogique tout au long du MOOC.
  • des “community assistants” : ils animent et modèrent les forums et les réseaux sociaux, facilitent la transmission d’informations, prennent en charge le support technique… Ce sont généralement des personnes inscrites au MOOC qui se portent volontaires pour donner un peu de leur temps dans l’intérêt de la communauté d’apprenants.

Si tu ne prévois pas de te faire seconder, tu peux être sûr que ton MOOC partira en vrille. Le nombre d’assistants est secondaire, à mon sens, et sera à ajuster selon le nombre d’inscrits au cours ; l’essentiel, c’est de prévoir dès le départ leur présence, définir leurs rôles, organiser leur travail, rédiger leur “formation” (pour qu’ils soient rapidement opérationnels quand ils rejoignent l’équipe), etc. Si tu peux avoir un community manager expérimenté dans ton équipe de départ, cela simplifiera beaucoup les choses.

Conclusion

J’avais dit que je ferais synthétique, hein ? Désolé. Il y avait beaucoup de choses à dire. 😀

J’espère que tu as trouvé cet article intéressant et qu’il t’aura donné envie de réagir… et qui sait, pourquoi pas, de te lancer à ton tour dans la réalisation d’un MOOC. 🙂

2 réflexions sur « Vers un MOOC francophone de référence »

  1. cvaufrey

    Merci Matthieu pour ce billet, hyper utile comme le précédent sur le MOOC idéal.
    A propos des sujets : tout à fait d’accord avec toi ! J’ai visité hier des plateformes de MOOC japonaises. Les cours sur la culture et l’histoire du pays me tentaient énormément… mais ils sont en japonais 🙂
    En tout cas, le MOOC sur l’Impressionnisme suit tes recommandations : parlons de ce dont nous sommes fiers, de ce pourquoi nous disposons d’experts incontestables et de ce qui peut intéresser les participants bien au-delà des frontières…
    Le MOOC sur l’Impressionnisme, c’est là : http://impressionnisme.solerni.org/

  2. Matthieu Auteur de l’article

    Merci Christine ! Effectivement le MOOC impressionnisme est alléchant, je ne te cache pas que j’en attends beaucoup, un peu comme le MOOC gestion de projet de Rémi Bachelet !
    Pour ce qui est du Japon, je te recommande chaudement Visualizing Japan : ce sera un de mes prochains comptes-rendus mais tu peux encore t’y inscrire. 🙂

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