Le MOOC idéal

Aujourd’hui, pas de compte-rendu de MOOC, mais un billet plus général. C’est l’heure de la synthèse : après avoir essayé une trentaine de MOOC (et en avoir terminé 23), je commence à avoir une idée assez précise de ce que j’aimerais trouver dans les prochains. Je vais donc dresser le portrait du MOOC idéal ; un portrait subjectif bien entendu, qui j’espère te fera réagir et te donnera envie de donner un avis différent, sur ce blog ou sur Twitter.

Reprenons. Qu’est-ce qui fait un bon MOOC ?

Un public bien ciblé

Synthèse MOOC idéalCela t’étonne peut-être que j’en fasse mon premier point, pourtant c’est fondamental. J’ai vu trop de MOOC promettre un cours “accessible à tous, sans pré-requis” et rapidement décourager la majeure partie des étudiants ; à l’inverse, “Emergence of Life” a attiré beaucoup de passionnés en leur promettant un contenu poussé et intégrant les dernières avancées de la recherche, alors qu’il ne propose finalement qu’un cours sur l’évolution très général et trop peu précis pour satisfaire les “mordus”.

Ne versons pas dans la philanthropie béate : un MOOC est un produit qui doit trouver ses clients. S’il se trompe de public (et trompe son public…), tout le reste compte pour du beurre.

Ce travail de ciblage inclut également une information claire sur le temps de travail requis. FutureLearn surestime souvent ce temps hebdomadaire : pourquoi marquer “3h/semaine” quand il n’en faut qu’une en moyenne ? Peu d’étudiants, in fine, passeront des heures à bavarder sur les forums, il ne faut pas prendre en compte ce type d’activité optionnelle dans l’estimation… A contrario, si le public ciblé est néophyte, il est nécessaire de prendre en compte un temps de familiarisation avec les outils et le principe des MOOC.

Des supports de cours dignes de 2014

Là encore, pédagogiquement, humainement, cela semble secondaire. Mais je le redis, un MOOC est un produit. Des vidéos floues, une prise de son “micro intégré de laptop”, des sous-titres “google traduction”, c’est comme une mouche morte dans une conserve : ça coupe la faim et le “produit” finit à la poubelle.

Synthèse MOOC idéalCreativity, Innovation, and Change” est un très bon exemple de technique catastrophique ; à l’inverse, des MOOC comme “Better Leader, Richer Life” ou “IDEA : Devenir entrepreneur de l’innovation par le Design Thinking” inspirent confiance et donnent envie d’aller au bout, même si l’on n’adhère pas forcément au contenu, simplement parce que c’est “propre”.

J’ajoute que d’un point de vue commercial, le business model des MOOC repose soit sur les options payantes (certificat, parcours personnalisé), soit sur le gain de réputation pour l’établissement qui le propose ; alors mettre en ligne des vidéos en 320p dans un cours prétendument innovant, c’est comme diffuser une plaquette publicitaire truffée de fautes d’orthographe…

Synthèse MOOC idéalDes enseignants performants

Voilà, on y arrive, à la pédagogie… Oui mais pas que ça. J’ai écrit “performants” et ce n’est pas un hasard. Le pluriel non plus, d’ailleurs : les MOOC d’astrophysique australiens illustrent à merveille l’intérêt d’avoir deux orateurs.

Par “performants”, j’entends :

  • compétents et crédibles (oui, le CV compte) ;
  • capables de communiquer leur passion du sujet abordé (de l’enthousiasme, que diable !) ;
  • dotés d’une diction convenable et d’un minimum de talent oratoire (pitié, ne lisez pas votre texte, messieurs-dames…) ;
  • prêts à s’impliquer tout au long du MOOC et à se remettre en question.

Ce dernier point est sensible mais crucial. Peu de MOOC se déroulent exactement comme prévu ; il est illusoire de se dire que l’on va enregistrer toutes les vidéos à l’avance, puis se tourner les pouces pendant que les étudiants bossent. Le principe des mail bags de “The French Revolution” permet à l’enseignant de commenter, à chaud, les discussions de la semaine en cours, et de préciser ou corriger des points litigieux ; chez les MOOC francophones, Unow fait ça bien également, par exemple dans son cours de géopolitique (au cours duquel les remarques des étudiants ont d’ailleurs permis une nette amélioration des quizzes et des exercices évalués par les pairs).

Un MOOC “joué d’avance” (tel que “Becoming a Resilient Person – The Science of Stress Management“) n’est pas vraiment un MOOC, aussi utile et pertinent soit-il.

Un contenu conçu et travaillé avec soin

Le contenu d’un MOOC prend des formes multiples : vidéos, textes et quizzes bien sûr, mais aussi outils interactifs (cartes, diagrammes, mind maps), exercices évalués par les pairs, activités sur les forums et réseaux sociaux… Chaque forme est un outil, et il ne suffit pas de les empiler comme des briques et de se frotter le bout du nez pour que le MOOC prenne forme.

Chaque semaine de cours doit être aussi auto-suffisante que possible, tout en faisant partie d’une suite cohérente ; elle doit idéalement commencer par un bref résumé de la semaine précédente et s’achever sur l’annonce du programme de la suivante.

Elle doit également être aussi difficile et ludique qu’annoncée. Lorsqu’une semaine est trop chargée, ou au contraire qu’elle laisse sur sa faim, le risque de décrochage est important ; “Deciphering Secrets : Unlocking the Manuscripts of Medieval Spain” est un bon (mauvais) exemple de MOOC monté “avec les moyens du bord” et avec des semaines très hétérogènes.

Synthèse MOOC idéalIl est plus facile de lister toutes les erreurs à ne pas commettre, mais essayons plutôt d’établir une liste “positive” (non exhaustive je le crains):

  • toujours citer les sources utilisées, de la publication scientifique à l’image tirée de Wikimedia Commons ;
  • plus généralement, respecter la netiquette (format des documents, gestion des trolls…) ;
  • si l’on utilise des diapos (slides) dans les vidéos, les restreindre aux illustrations, aux citations et (éventuellement) aux mots essentiels : ne surtout pas en faire un doublon des propos de l’enseignant (cf MOOC IDEA, réaction immédiate : on zappe la vidéo et on se contente de lire les slides) ;
  • oser mettre un peu d’humour (dans les vidéos comme dans les quizzes) ;
  • encourager les étudiants au fil des semaines, mais ne pas les infantiliser (cf “Creativity, Innovation, and Change” : rédhibitoire) ;
  • poser des questions pour inciter les apprenants à donner leur avis sur le forum (“Emergence of Life” le fait très bien) ;
  • récompenser l’investissement des étudiants, même lorsqu’ils ne peuvent pas s’offrir un certificat payant (un OpenBadge, par exemple, ne coûte rien à mettre en place) ;
  • proposer des activités optionnelles, si possible plus ou moins chronophages (si le seul “bonus” possible prend 5 heures, peu d’étudiants s’y lanceront)…

Le temps de réflexion et de préparation du contenu ne sera jamais du temps perdu. C’est également là que l’on peut le plus facilement améliorer un MOOC entre deux sessions : “Human-Computer Interactions” par exemple s’est manifestement “poli” au fil des itérations pour atteindre une forme de grande qualité.

Co, Co, Co

Non, pas cocorico : Communication, Collaboration, Communauté. Ce qui différencie le plus un MOOC d’un cours en ligne, c’est que l’on n’y étudie pas chacun dans son coin. Travailler à plusieurs, échanger des opinions, s’entraider, c’est une source inépuisable de richesse, tant au niveau de l’apprentissage en lui-même que comme invitation à la découverte.

Synthèse MOOC idéalJ’entends par communication la mise à disposition d’outils de dialogue, naturellement, comme un forum de discussion mais aussi les réseaux sociaux. Cela paraît évident, mais il faut également une communication entre enseignants et étudiants : il est indispensable que ces derniers puissent remonter des questions et commentaires (dans les MOOC très peuplés cela passe par des Training Assistants qui filtrent les demandes selon leur pertinence), et à l’inverse, les enseignants doivent s’efforcer d’être aussi clairs que possible dans la transmission d’informations. Je l’ai déjà évoqué en parlant des vidéos, mais c’est tout aussi capital dans les messages écrits informant des deadlines, des consignes de correction, etc. J’ai vu beaucoup de MOOC mal communiquer à ce niveau et perdre des étudiants car ceux-ci ne trouvaient pas comment soumettre une évaluation, ne savaient pas s’ils pourraient modifier un exercice après l’avoir soumis, n’avaient pas compris que la deadline était en heure de la côte ouest américaine, etc (la liste est longue).

Un MOOC doit promouvoir la collaboration entre étudiants : c’est un excellent vecteur d’apprentissage, et surtout, c’est extrêmement motivant. L’évaluation par les pairs est un procédé incontournable dès lors que l’on produit un écrit ; certains MOOC comme “Better Leader, Richer Life” en font même leur principale activité. Il y a bien sûr des règles à respecter, des techniques à mettre en place pour que cette évaluation soit aussi juste que motivante (j’y reviendrai peut-être dans un autre article).

Cela ne suffit pas pour autant. Lorsque le sujet le permet, l’organisation d’un travail de groupe apporte une immense plus-value au cours ; les MOOC d’Unow comme “IDEA” et “Gestion de projet” (compte-rendu à venir, en octobre) l’illustrent bien, tout comme “Deciphering Secrets” (dont c’est quasiment le seul intérêt, mais quelle réussite !). “Emergence of Life” propose à ses étudiants (à titre optionnel mais récompensé par un badge – qu’importe la taille de la carotte pourvu qu’elle existe…) de rédiger de brèves synthèses sur un point très précis de la recherche scientifique, et de critiquer de façon constructive les synthèses d’autres apprenants : non seulement cela pousse à s’informer des dernières avancées de la science, mais en plus et surtout, cela forme à la rigueur scientifique (citation des sources, précision du vocabulaire, correction après “peer review”).

Synthèse MOOC idéalCommunauté, enfin, et comme diraient les anglais “last but not least”. Dès lors que l’on réunit un groupe de personnes sur Internet, il faut prévoir un travail de gestion de communauté ; alors imagine, dans un MOOC, ces personnes ne se connaissent pas au préalable, viennent de cultures et d’horizons extrêmement divers, n’ont pas toutes les mêmes objectifs, ne parlent pas nécessairement très bien anglais (ou français sur les MOOC francophones)… Et elles sont des milliers !

Le travail à fournir pour canaliser toute cette énergie, éviter les frustrations, pallier aux incompréhensions, désamorcer les conflits, prévenir le découragement et écarter les éléments nocifs est considérable. Si tu es familier du community management, ce que je dis ne te surprend pas… Les MOOC qui font l’objet d’un accompagnement professionnel anticipent cette mission et constituent une équipe compétente et disponible pour encadrer et accompagner la communauté ; cela se passe généralement très bien. Ceux qui, par contre, s’organisent à la va-vite se retrouvent contraints, au bout de quelques heures de chaos, de recruter des dizaines de Community Assistants bénévoles et (presque toujours) non formés ; ils font la police tant bien que mal, stoppent l’hémorragie mais détruisent bien souvent la dynamique initiale.

En bref, cet aspect social est souvent ce qui différencie un “petit MOOC sympa” d’un “super MOOC bien ficelé”. Lorsque tu vois professeurs et assistants s’impliquer personnellement dans l’animation d’une page Facebook ou Google+, tu ne peux qu’être motivé pour t’investir toi aussi.

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En résumé, un MOOC c’est comme une recette de cuisine : il y a un certain nombre d’ingrédients, de procédés à respecter, et quand tu en oublies un, le plat est moins savoureux…

L’intelligence déployée dans l’élaboration des contenus et la qualité technique sont peut-être la base du cours, mais sans stratégie sous-jacente pour cibler un public, l’attirer puis en faire une communauté d’apprenants, tu n’auras jamais qu’un cours en ligne, pas un MOOC.

Et toi, à quoi ressemble ton MOOC idéal ? 🙂

14 réflexions sur « Le MOOC idéal »

  1. Vincent

    Bonjour Matthieu,
    Merci pour cet article et les réflexions souvent pertinentes, on attend une suite sur les “bonnes pratiques à reconduire”

  2. Matthieu Auteur de l’article

    Merci Vincent, je vais plancher là-dessus alors. Cet article est orienté “apprenant” (comment repérer un bon MOOC ?), et je le complèterai par un billet “enseignants” (suggestions pour créer un bon MOOC). 🙂

  3. Chirat pascal

    Bonjour Mathieu
    Bonne synthèse ( bon , vu le nombre de Moocs suivis…)
    Pour moi, en dehors du sujet et de sa complexité éventuelle, les points importants et nécessaires à un bon Mooc sont:
    – Une équipe pédagogique et une équipe technique très impliquées sur les forums et réseaux sociaux tout au long du Mooc voire après aussi.( sinon des pdf suffiraient amplement )
    – Une mise à dispositions des outils nécessaires aux devoirs (et multiplateformes) au sein même de l’outil support du Mooc.
    – Une ergonomie efficace et simple de l’outil support.
    – Une arborisation dans les forums permettant de s’y retrouver facilement ( pas encore rencontré)
    – des orateurs à l’aise avec la vidéo et capables de véritablement enrichir leurs solides ( rare aussi ) avec un regard porté vers la caméra plutôt que sur des notes ( un prompteur ne coûte rien, ça se bricole avec un ipad)

  4. Matthieu Auteur de l’article

    Bonjour Pascal,

    Merci pour ce commentaire. Je te rejoins sur la plupart des points, hormis peut-être l’intégration de tous les outils au sein de la plateforme : dans le MOOC GeoDesign (Coursera) par exemple, il est fait usage d’outils de visualisation de données spatiales sur divers sites institutionnels américains, et cela se conjugue très bien avec les autres supports de cours.

    Concernant la structuration des forums, cela dépend avant tout de la plateforme : Open edX est très mal conçue sur ce point (je crois qu’ils sont en train d’y travailler pour rattraper leur retard). Sur Coursera et Canvas/Unow, il y a moyen de concevoir un forum correct, mais il manque encore des fonctionnalités essentielles comme “voir les messages non lus” pour se rapprocher de l’ergonomie d’un “vrai” forum (phpBB/IPB/vBulletin). Parmi les MOOC qui ont bien géré cet aspect, il y a celui de géopolitique sur Unow, “Emergence of Life” et “Better Leader, Richer Life” sur Coursera…

    Merci encore pour ton commentaire ! 🙂

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  6. Ping : MOOC : Média, Produit quelconque ou réelle innovation pédagogique ? | CriTIC-Elearning.com

  7. Isa Braune

    Merci pour cette synthèse sur les points essentiels des Moocs. Il me semble en effet qu’on peut mesurer la qualité d’un mooc au développement et à l’activité de la communauté d’apprenants. Cette communauté perdure après le mooc et participe aux choix des sujets qui seront abordés lors de l’édition suivante … voir communauté moocaz sur google + et twitter
    +MOOCAZ

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  11. Jeremie Sicsic

    Merci Matthieu pour cette analyse qualifiée de la part d’un apprenant multi-récidiviste 😉

    Pour info, nous avons publié un article similaire analysant les facteurs clés de succès d’un MOOC, notamment sous l’angle de l’étude des taux de rétention. Le voici pour mémoire : http://goo.gl/BuUv8X

    Bonne lecture 😉

  12. laqueduc

    bonjour
    Votre article m’intéresse beaucoup. Son fond bleu avec écriture noire ne le rend pas très lisible. Est ce que vous pouvez le modifier ?
    Merci beaucoup.

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