Lamia

Et on repart comme en quarante… Je vais essayer d’accélérer un peu le rythme de parution des chapitres même si personne ne les lit 😛
Celui-ci est dédié à un certain Steve (waaah comment j’me la pète :D) dont les conseils rassurants m’ont amené à penser un peu moins de mal de mes essais…


Minuit passa; incapable de dormir, Eirko décida de passer outre les ordres de Kot et de faire preuve d’initiative. Après tout, si le Donate était tombé dans une embuscade, Eirko serait abandonné à lui-même, sans argent, sans amis et sans la moindre connaissance de la langue locale: autant dire qu’il irait nourrir les chiens de rue avant que sa blessure ne soit refermée. Le plus grand danger résidait souvent dans l’inaction.

Il sortit de la chambre et descendit les escaliers en silence, en réfléchissant à un moyen de traverser la salle commune bien éclairée sans attirer l’attention. Il n’était pas impossible que les ennuis rencontrés par Kot soient dus à un mouchard, peut-être même au gérant de l’auberge… Il retint un soupir de soulagement en ne voyant personne; des voix distantes se faisaient entendre dans la cuisine, mais la porte en était fermée et il put atteindre la rue sans encombres.

Serrant les dents pour résister à la morsure du froid nocturne, il longea les murs jusqu’à l’étroite porte qu’il devait surveiller. Kot ne lui avait rien expliqué de son contrat; la seule piste éventuelle démarrait ici. Eirko s’accroupit péniblement pour se saisir du petit coutelas dissimulé dans sa botte droite, le passa dans sa manche, puis entra.

Il se trouvait dans un couloir partiellement éclairé; deux torches brûlaient dans des renfoncements à mi-parcours. Il faisait chaud, surtout en comparaison avec l’extérieur, et un épais nuage d’humidité formait une brume opaque flottant au ras du sol. Ne sachant pas s’il pouvait faire confiance à un plancher invisible, Eirko s’appuya au mur sur sa droite; la paroi de terre cuite ruisselait d’humidité, à tel point qu’il lui semblait sentir sa main s’y enfoncer.

L’obscurité devint angoissante dès qu’il eut franchi les torches; seule la fumée restait visible, l’enveloppant jusqu’aux genoux et se perdant loin au-delà. Il la suivit sur quelques mètres, et remarqua que, tel un ruisseau dont on aurait détourné le cours, une partie du brouillard semblait aspirée vers la droite… A l’intérieur même du mur. Il posa ses mains sur celui-ci là où la brume le traversait, et ne sentit d’autre résistance que celle de l’air moite.

Une illusion, supposa-t-il; il ferma les yeux pour oublier leur constat, et s’avança très prudemment en formulant le voeu de ne pas finir enmuré pour l’éternité… et se retrouva de l’autre côté de la paroi.

Il se trouvait dans un lieu aussi vaste que la salle commune du Skitch; la brume laiteuse, omniprésente, tournoyait et s’effilait à mesure qu’elle était aspirée au milieu de la pièce. Là, un être de grande taille se dressait, dos à Eirko, et se retourna à l’instant précis où Eirko tentait de faire un pas. Il fut implacablement paralysé lorsque son visage se révéla à lui.

C’était indiscutablement une femme, à la peau claire comme la lune, nue si l’on exceptait la fumée qui la recouvrait jusqu’à la taille; ses lèvres pleines dessinaient un sourire prédateur. Le plus saisissant était toutefois ce vermeil éclatant qui recouvrait ses mains et entourait sa bouche.

Du sang. Dont elle se repaissait. Eirko comprit soudain que la forme indistincte aux pieds de cette femme devait être sa proie. Kot ?

Il tenta de se libérer de l’étreinte magique qui l’immobilisait, mais n’obtint que quelques tremblements; la femme fit un signe en se tournant davantage vers lui; il fut projeté vers elle, marchant contre son gré jusqu’à se retrouver à moins d’un mètre d’elle. L’horreur du sort qu’elle réservait à ses proies ne pouvait lui faire oublier son charme inhumain, et il sentit une soumission morbide l’envahir. Après tout, il y avait pire que de mourir dans les bras d’une telle… créature…

– Viens par ici… Plus près, oui…

Sa voix était celle d’un hautbois ayant appris à chanter; ses mains ondulaient au rythme des vagues de séduction qu’elle tissait puis projetait vers lui avec une douceur enjôleuse.

Lorsqu’il fut assez proche pour que leurs corps se touchent, l’emprise qu’elle exerçait sur ses mouvements s’interrompit soudain; il voulut faire un pas en arrière, mais la brume s’était épaissie autour de ses jambes et le maintenait aussi solidement que des chaînes.

– Voilà, mon bel agneau, nous allons danser maintenant…

Elle posa une main sur son flanc, et de l’autre prit sa tête pour la poser contre sa poitrine. Ivre de dégoût et de désir, il la laissa l’enlacer, l’éveiller; puis, lorsque ses deux mains écarlates s’affairèrent à ôter sa tunique, il l’enlaça à son tour; courant le long de son dos, ses mains se joignirent au creux de ses reins. Il fit un mouvement du bras gauche, faisant tomber le couteau dans sa main droite, et le planta entre deux vertèbres.

La créature rejeta la tête en arrière en hurlant, puis la rabattit violemment vers lui et planta ses crocs à la base de son cou; ses doigts s’aiguisèrent et s’enfoncèrent dans son dos. Eirko s’effondra dans ses bras, tandis qu’elle puisait dans son sang l’énergie de sa survie.

Le couteau ensanglanté qu’Eirko avait lâché surgit soudain de la brume, guidé par un bras décharné; il lacéra l’espace trouble sous la créature. Un bruit de succion, puis une détonation, saluèrent ce coup; les volutes de fumée tourbillonnante s’accélérèrent, et lorsque le bras fantôme frappa de nouveau, la pièce toute entière ne fut plus que tempête. Quelques instants plus tard, Eirko tomba au sol.

Ses forces le quittaient; il tenta de stopper le torrent de sang jaillissant de son cou avec son bras opposé. Kot se traîna jusqu’à lui et comprima sa clavicule gauche tout en nouant un lambeau de la tunique d’Eirko autour de son épaule. Le garrot accabla Eirko de douleur, mais celle-ci eut pour effet bénéfique de lui éclaircir l’esprit.

La brume avait disparu; le sol était tapissé de sang, le sien, celui de Kot, mais surtout celui de la créature, brûlant de mille feux autour de son corps éventré. Kot l’avait eue… Il était vivant, même s’il semblait avoir vieilli de trente ans. Les os de son visage saillaient au-travers de sa peau craquelée; des taches sombres et purulentes lui tenaient lieu de chevelure, et ses lèvres étaient grises. Seuls ses yeux et ses mains sûres révélaient le peu de vie habitant encore ce corps. Kot remarqua le regard appuyé d’Eirko:

– On peut dire que tu sais arriver à temps, gamin… Elle avait presque fini le boulot.

Eirko voulut poser une question, mais seul un gargouillis sortit de sa bouche; Kot lui fit signe de se taire.

– T’as le chic pour choper des blessures bien crades, aussi. Normalement elles n’attaquent pas comme ça, ça tue leur proie trop rapidement… M’est avis que ta petite surprise l’a foutrement mise en rogne, hein. Oh, Sied…, ajouta-t-il plaintivement en essayant de se mettre debout. Elle m’a sucé jusqu’à l’os, la garce.

Il adressa un regard d’excuse à Eirko, sans que celui-ci sache s’il se reprochait ces jurons ou son égoïsme.

– Tu n’avais jamais vu une lamia, hein ?

Le jeune Bari fit non de la tête et suivit le regard de Kot vers le corps crevé.

– Pas la peine que je t’explique pour le haut, t’as eu le temps d’y goûter je suppose, fit Kot avec un clin d’oeil un peu forcé. Toutes les magiciennes sont bien foutues, et me demande pas pourquoi. Je suppose qu’elles ont le moyen d’arranger ce qui ne leur plaît pas, hein ? Par contre là-dessous…

Il poussa le corps avec son pied pour qu’Eirko puisse mieux l’observer.

– Elles n’ont pas de jambes, rien qu’une queue remplie de sang. C’est leur pompe à vie, si tu veux; mais avant qu’on ne l’ouvre en deux, ce que je peux te dire, c’est que c’est rien de plus qu’un serpent. Un maudit serpent.
– La… brume ? parvint à articuler Eirko.
– Magie, tout ça. Pour surveiller leur territoire, comme les araignées. Et peut-être bien pour aspirer le peu qui leur passe entre les dents. Suis pas magicien, mais ce que je peux te dire, c’est que tant que tu les crèves pas là où il faut… Ces drôlesses-là sont immortelles. Tu peux leur couper un bras, du moment qu’elles ont une proie sous le coude, ça repousse.

Aussi bien terrifié que fasciné par ces révélations, Eirko contempla les dernières gouttes de sang s’échappant de la lamia. Kot finit par rompre ce long silence.

– Un contrat de fini, deux de décrochés…
– Mmrm ? grogna Eirko comme Kot ne poursuivait pas.
– Eh bien, visiblement, cette lamia était ma cible… Maintenant il faut que je retrouve le salopard qui m’a envoyé ici pour "buter son ex" – oui, tu m’as bien entendu. Respire, gamin, ce genre d’embrouilles c’est le lot du métier. Et ensuite…

Il s’accroupit près du corps, l’air pensif.

– Ensuite, même si c’est pas mes oignons, va bien falloir que je comprenne pourquoi une bête aussi sédentaire qu’une lamia s’est coltinée des semaines de marche pour atterrir ici. Bon sang, gamin, mais qu’est-ce qu’une créature des Plateaux peut bien foutre en ville !?

1 réflexion sur « Lamia »

  1. Léa

    Ahh, ça faisait longtemps ! Et en plus y’a de l’action ! (ben si, moi je les lis tes chapitres, même si je poste pas tjrs de commentaire, désolée 🙂 )
    Un chapitre plein de sang, moi ça me plaît bien 😀
    Mais pas le temps de m’étaler, je retourne bosser : ventilation et transferts gazeux, youpi !

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