Ecrivant trop peu pour me permettre d’écrire 10 ou 20 points de vue, je me suis jusqu’ici concentré sur Loni, Eirko et Rhacca. J’essaie de m’accrocher à ne pas dépasser deux mois d’absence pour un personnage mais c’est difficile…
Malgré cela, mon histoire n’aura le sens que je veux lui donner que si elle englobe la situation d’une façon plus générale; il doit y avoir d’autres protagonistes, d’autres lieux, d’autres petites histoire dans la grande…
Pour ne pas me disperser sans retenue, voici ce que j’ai décidé: je vais vous proposer quelques aperçus d’autres point de vue, et vous me direz lequel (voire lesquels) vous souhaitez que je continue en priorité 😀
Ainsi, j’écris ce qui vous plaît, et je vous implique davantage dans ce projet, renouant un peu avec mon objectif initial qui était de vous donner l’envie d’inventer, voire d’écrire vous-même certains points de vue (oui, je sais, c’était sans doute trop ambitieux).
Voilà… Réfléchissez-y, et dites-moi ce que vous préférez, en commentaires publics ou en messages privés, à votre guise. J’attends vos réactions avec impatience… 😉
PS: aujourd’hui c’est le Téléthon, n’oubliez pas, 36 37 ou www.telethon.fr … 😉
Dans son demi-sommeil, elle ressentit une anormalité, une urgence. Elle ouvrit les yeux, cligna des paupières pour chasser la morsure sèche du froid, et baissa la tête. Il n’était plus là, et pourtant…
Son odeur n’avait pas disparu. Elle le chercha du regard, puis se leva et l’aperçut non loin, derrière elle, tentant péniblement d’avancer sur la glace. Elle grogna en s’approchant, l’immobilisa d’un coup de patte et se coucha contre lui pour le protéger du vent.
Il avait faim, évidemment. Il était trop tôt pour s’aventurer loin de sa mère; il s’écoulerait encore de longs mois avant qu’il soit en mesure de chasser seul. Mais elle ne suffisait plus à le sustanter; faute de proies, elle maigrissait et manquait de lait. Elle ne pouvait se résoudre à l’abandonner, mais elle savait aussi qu’ils mourraient tous deux de faim s’ils restaient dans cette région.
Il tenta à nouveau d’échapper à son emprise, agitant ses pattes, griffant le sol givré. Elle le serra plus fort contre son museau, lécha son dos pour le calmer et patienta; le jour se lèverait bientôt, ils reprendraient leur lente marche vers l’est. Elle garda les yeux ouverts.
Dès les premières douceurs de l’aube, elle se remit sur ses pattes, le prit délicatement dans sa gueule et marcha, marcha. Elle suivit le soleil levant, tant pour garder le cap que pour bénéficier de sa tiédeur apaisante. Son épaisse fourrure finit par sécher; elle ne s’autorisa aucun repos, ne s’arrêtant que pour l’allaiter.
Elle ne vit aucune proie de la journée. La vie semblait avoir déserté les parages, laissant à la glace l’exclusivité de ces immenses terres. Elle n’avait pas non plus croisé de ses semblables; ils avaient tous migré depuis longtemps, mais elle avait dû s’arrêter plusieurs semaines pour mettre bas et n’avait donc pu les suivre.
Le soleil rougeoyait et abandonnait la terre au vent glacial lorsqu’elles les vit. Quatre petites proies, à peine plus hautes que son petit, et bien moins charnues; elles la voyaient, de surcroît. Elle ne tenta donc pas de les prendre en chasse, et continua son chemin.
Mais elles s’approchèrent. Trois d’entre elles tenaient une longue branche entre leurs mains. Elle-même ne risquait rien contre de telles créatures, mais lui… Elle le déposa au sol, passa devant lui et grogna. Les quatre bêtes s’avancèrent prudemment, hors de portée d’elle. Puis celle d’entre elles qui ne portait pas de bout de bois fit quelques pas, les pattes écartées, la tête baissée en signe de soumission.
Elle la laissa poser ses pattes sur son museau, sur ses mâchoires, sur ses tempes. Et une pensée étrangère surgit en elle.
– Salut à toi, mère.
Silam rassembla les documents épars sur la longue table de bois verni et les rangea dans ses affaires; il ne devait plus tarder s’il voulait avoir le temps de changer de costume pour la réception de ce soir chez Alajco. Il quitta donc son bureau en toute hâte pour se rendre à sa demeure, située dans l’arrière-cour du bâtiment où il travaillait. Contrairement à la plupart des notables de la côte est, il n’éprouvait pas le besoin de voir la rue depuis la fenêtre de sa chambre; il réservait le culte des apparences à sa vie professionnelle, et préférait la discrétion et le calme pour ses affaires privées.
Il laissa son esprit analyser la réunion qui venait de s’achever tandis qu’un de ses domestiques l’aidait à changer de tenue. Globalement, elle s’était déroulée conformément à ses attentes: le Consul Modiom avait été aussi passif et peu intuitif qu’à son habitude, laissant le champ libre à Silam pour instiller ses idées dans l’esprit des marchands Oborh et Tuk. La seule déception (toute relative) était venue de Lyoko, qui avait opposé un peu trop d’arguments éthiques au goût de Silam.
Il devrait se montrer plus patient, plus subtil chez le tout-puissant Alajco; il lui faudrait aussi espérer que Tuk lui apporterait comme promis son soutien auprès des indécis. Il avait passé bien assez de temps à acquérir la confiance et l’écoute de ses pairs; il était temps de passer à l’offensive.
Le ciel se chargeait de nuages lorsque Silam franchit le seuil de l’imposante villa de son hôte; surplombant le rivage et les maisons du bas-peuple, elle était idéalement située, et la richesse du mobilier, des fresques murales et des tenues des domestiques témoignait de l’opulence dans laquelle Alajco vivait. Rien d’étonnant pour qui détenait le monopole du commerce de sel à Tysan.
Les caravanes de sel étaient sans cesse plus nombreuses pour traverser le continent; la construction d’une route traversant le sud du désert Aïlbar avait rouvert d’immenses possibilités commerciales disparues depuis plus d’un siècle. Lorsque les Donates avaient pris les Cités Libres d’assaut, le désert était devenu dangereux: les oasis avaient péricilité, les pillards s’étaient multipliés et les Donates eux-même avaient saboté toute tentative de retour à la normale. Pour rallier les côtes est et ouest, seule la voie maritime était donc possible; mais elle était lente, et chère du fait des pirates.
Depuis quatre ans que la route était achevée, Alajco avait vu ses bénéfices s’envoler à tel point que le Consul serait probablement contraint de lever partiellement son monopole pour que les richesses soient mieux partagées… Mais il resterait sans doute l’homme le plus riche de Tysan jusqu’à sa mort.
Hélas, tous les marchands n’avaient pas sa bonne fortune. Les négociants en pêche étaient à genoux: le poisson se faisait rare, ils devaient pousser leurs navires de plus en plus loin au nord pour remplir leurs filets… Quant aux autres, ils souffraient à divers degrés de la concurrence avec Safran, plus dynamique et agressive que Tysan, de la généralisation des attaques de pirates et d’étranges disparitions de convois dans les contreforts montagneux du nord. Bref, la morosité gagnait du terrain.
Après quelques salutations formelles, Silam se rapprocha discrètement de Varee, négociante en vins et tissus dont le mari et le meilleur équipage avaient été massacrés par des pirates de la côte ouest, quelques mois plus tôt. Silam avait saisi l’occasion pour s’attirer les bonnes grâces de la charmante veuve, et décida d’enfoncer le clou.
– Madame, ah ! Quel plaisir de vous voir si resplendissante ce soir. Vous ai-je déjà dit combien le noir vous seyait ?
– Allons, Silam, pas de ça avec moi, répondit-elle avec un sourire démentant ses propos: elle adorait la flatterie, du moment qu’elle semblait sincère. Silam vint tout près d’elle pour lui parler à voix basse.
– Je dois vous avouer quelque chose, Madame: vous êtes ma Muse – non, non, ne protestez pas, je vous explique. Vous voir si peinée à la mort de votre illustre mari m’a retourné le coeur; j’ai cherché jour et nuit un sens à cet événement tragique, une solution pour que cette catastrophe ne soit pas vaine… Et vos yeux merveilleux m’ont inspiré la réponse.
Il sentit que derrière les quelques larmes de circonstance, Varee lui accordait désormais toute son attention.
– Madame… Par notre attachement aux traditions, mais surtout par manque d’audace et de foi en nos capacités, nous nous sommes emprisonnés dans ce compromis innommable avec les pirates. Ils prélèvent impunément nos vies et nos richesses, et que faisons-nous pour les en empêcher ? Nous mêlons à nos équipages quelques soldats de métier, comme si cela pouvait changer le cours des choses ! Non, Madame, ce n’est pas acceptable, ce n’est plus acceptable.
Silam remarqua que quelques marchands feignaient de discuter entre eux mais tendaient l’oreille vers Varee et lui; eux aussi buvaient ses paroles. Parfait.
– Vous savez comme moi, Madame, qu’une seule force est assez puissante pour infliger une défaite aux pirates en les attaquant en leur fief; un seul royaume dispose d’une flotte suffisante de vaisseaux de guerre.
– Vous ne pensez tout de même pas à…, l’interrompit Varee avec un air effaré.
– Si, Madame, je parle de Peltros. Nous avons rompu tout contact avec eux il y a soixante ans pour les raisons que vous connaissez. Mais le monde change, Madame. Leur roi est mort depuis longtemps, et nos griefs réciproques n’ont plus lieu d’être… Du moins devrions-nous leur parler. Si les bancs de poissons continuent de migrer vers le nord, nos pêcheurs finiront par se retrouver dans les eaux peltrosis… Je suis convaincu que nous devrions rétablir des relations commerciales et diplomatiques avec nos voisins du nord-est, Madame, et cela, je l’ai lu dans vos yeux.
Quelques murmures ponctuèrent sa tirade; il avait progressivement élevé la voix, et de nombreux invités l’avaient écouté, mi-choqués, mi-perplexes. Le fils aîné d’Alajco en faisait partie. Dans son dos, Tuk choisit ce moment pour honorer sa promesse.
– Voilà des propos très courageux, Silam, mais cela ne m’étonne pas de vous. En ce qui me concerne, il est certain que j’apprécierais une telle mesure si elle me permettait de trouver de nouveaux débouchés à mon commerce de pierres précieuses…
Certains hochèrent la tête. Tout se déroulait comme prévu; Silam ne put s’empêcher de sourire.
La mer était trop sombre, trop lisse… Différente.
Cela faisait plus de trente ans que Svari se levait deux heures avant l’aube, marchait jusqu’à la côte avec ses outils et son déjeuner dans sa besace, installait sa chaise toujours sur le même promontoire et capturait les premiers rayons du soleil sur l’immensité bleue face à lui. Il avait acquis une connaissance parfaite de toutes les nuances que la mer pouvait connaître.
Et même les plus sombres nuages d’orage n’auraient pu obscurcir ainsi les flots. Alors que le ciel, ce matin-là, était splendide. Svari n’était pas croyant, avait peu de sympathie pour les sorciers qui, malgré leur maîtrise des éléments et de la télékinésie, n’avaient pas su (ou voulu) sauver son fils, seize ans plus tôt… mais ce qu’il avait sous les yeux ne pouvait s’expliquer que par de la magie.
Il accrocha hâtivement une toile vierge, et s’efforça de reproduire la scène en quelques instants; il avait l’habitude de mettre des années à achever une toile, car les mêmes couleurs ne se répétaient que rarement, mais cette fois il devrait être efficace car le phénomène ne se reproduirait sans doute pas.
Lorsque l’astre du jour s’arracha de la mer, tout était redevenu normal. Svari contempla sa toile, satisfait d’avoir su reproduire les volutes sombres et l’absence choquante de reflets irisés à la surface; mais il songea que s’il présentait son oeuvre au Mestre pour lui faire part de ses inquiétudes, celui-ci ne le croirait pas et attribuerait ces étranges nuances sur la toile à une nuit trop arrosée.
Il garderait donc cette histoire pour lui, mais aurait une raison supplémentaire de scruter encore et toujours le large. Si le phénomène se reproduisait, il serait là pour en témoigner, et cette première illustration serait une alliée précieuse pour convaincre les sceptiques. Car nul doute que tout cela ne présageait rien de bon.
Cette histoire est passionnante à lire et a pleine de rebondissements.