Au plaisir de vous lire

Je sautille, je bondis, je vole d’un projet à l’autre…

Des compagnons d’infortune, internautes avides d’écriture, ont décidé de se lancer dans l’élaboration d’une histoire commune. Ca ressemble un peu à ce que je faisais avec Star Trek Québec, si ce n’est qu’il n’y a là aucun cadre déjà établi, et que nous nous efforcerons tous de peaufiner notre style pour apporter chacun notre touche personnelle tout en préservant une certaine homogénéité. Car le but, là, est aussi de proposer à n’importe quel lecteur une histoire cohérente et inspirée, écrite à 10, 14 ou 18 mains…

Ayant hérité du privilège d’écrire le premier jet, je vous le livre ici; vous pourrez lire la suite sur notre forum en cliquant ici. J’espère recevoir quelques commentaires de votre part, n’hésitez pas… 🙂

P.S: joyeux anniversaire Rex ! 😀


Les mains croisées dans le dos, tête haute et regard brillant, Nino parcourait les allées de la bibliothèque.

Les vacances d’hiver étaient un temps propice à la lecture: la Toussaint était trop triste, Pâques trop ensoleillée; Noël vous pesait trop sur l’estomac et l’été, Champebourg était quasi-désert. Oui, février était la période idéale pour lire, et la caverne de “Nino Baba”, comme l’appelait sa nièce, ne désemplissait pas.

Quelques lycéens chuchotaient près des “Lumières”, décortiquant Voltaire entre deux rires étouffés: les examens de fin d’année approchaient. Il y avait là Mélanie, la chipie du village, Johanne l’élève modèle, Edouard le tombeur que ces demoiselles s’arrachaient, et Rachid dit “le timide” en raison de son caractère excessivement introverti. Mis à part Vincent, parti au ski avec ses parents fortunés, tous les lycéens de Champebourg étaient là, fierté du village autant que de leurs parents. Beaucoup se doutaient que dès le Bac en poche, ils s’exileraient, iraient à la fac ou mieux même, et ne reviendraient que de plus en plus rarement…

Non loin de ce groupe sympathique, dans l’allée opposée, Ariane semblait accorder à peu près autant d’intérêt à son roman, Insomnies, qu’à ses voisins d’en face. Si lire du Stephen King pouvait être, pour certains, un rite de passage à l’âge adulte, Nino espérait que la fausse blonde cinquantenaire aurait bientôt franchi le cap: ses oeillades incessantes rendaient le pauvre Rachid fou de honte, et ses croisements/décroisements de jambes avaient de quoi donner le tournis. Si elle n’avait toujours été une lectrice assidue, Nino l’aurait volontiers sermonnée, mais voilà, au “Plaisir de lire”, le lecteur était roi…

Après tout, pouvait-il réellement lui reprocher ces gamineries ? Le bibliothécaire considérait, à 62 ans, avoir enfin atteint l’âge de raison: il abordait désormais l’avenir avec sérénité, et se sentait relativement à l’aise avec ses semblables (à condition qu’ils partagent sa passion de la littérature, naturellement). Cela n’avait pas toujours été ainsi…

Au fond de la salle, Théo sautillait pour atteindre l’étagère la plus élevée; en voyant Nino approcher, il changea de stratégie et piocha un livre au hasard dans un rayon à sa hauteur: Les liaisons dangereuses. Nino remercia le bon Dieu d’avoir fait de Théo un collégien plutôt chétif et court sur pattes: il y avait tout à redouter du jour où il mettrait la main sur les romans pour adultes perchés tout là-haut.

Théo était un bon garçon, après tout; il était simplement… confus. Hyperactif, voire surdoué, selon les médecins. Selon lui, Rimbaud, héros du Vietnam, arborait un bandana rouge et beuglait des “Verlaiiiiiiiine” en déforestant l’Amazonie et la forêt de Fontainebleau au napalm; si Stendhal avait écrit Le Rouge et le Noir, c’était parce qu’il était fan du Milan A.C, et si Céline avait choisi un pseudonyme aussi ringard, c’était par amour pour René… Barjavel. Une vilaine blessure au talon fit un jour la mauvaise humeur d’Eschyle et l’incita à écrire des tragédies; Victor Hugo, surnommé “le Boss” par ses pairs, s’était fait voler le scénario du Parfum par Süskind, et Zola était en réalité un monstre marin dont l’union avec une Gorgone au regard pétrifiant avait donné le jour à un délicieux fromage. Ah, et, bien sûr, J.K. Rowling et Michel Houellebecq étaient les meilleurs écrivains de toute l’histoire de l’humanité. Humm.

Nino caressa quelques reliures puis gravit les escaliers jusqu’à la petite salle à l’étage; là, le silence était de règle, et les lecteurs pouvaient s’adonner librement à leur passion sans crainte d’être dérangés.

La nuque crispée, les épaules voûtées, le vieux Louis communiait avec Baudelaire. Il avait beau ne pas avoir quarante ans, il irradiait la fatigue et l’épuisement, tel une branche couverte de lichens d’un arbre centenaire. La vie ne l’avait pas épargné, le vieux Louis, et Nino partageait en silence la mélancolie d’un de ses plus fidèles visiteurs, bateau ivre d’avoir trop aimé.

La mélancolie était aussi présente dans les yeux de Mireille, l’étrange et insaisissable Mireille, arrivée au village six ans plus tôt à la mort de son frère, et jamais repartie. Elle lisait Nietzsche ou Hegel, Camus ou Balzac, Prévert ou Keats; mais de ses grands yeux noirs ne filtraient aucune émotion, aucun indice. Tant de mystères mettaient Nino mal à l’aise.

Tout au fond, là où le toit pentu s’abaissait pour rejoindre le sol et créait une niche rendue douillette par les couvertures et les coussins, deux amoureux s’enlaçaient d’un bras en lisant de l’autre; lui dévorait l’avant-dernier tome de Dune, elle ouvrait son coeur à Madame Bovary. Tête contre tête, livre contre livre, ils émurent Nino qui resta un instant à les contempler puis redescendit les marches, le coeur léger, en entendant la porte s’ouvrir de nouveau: un nouveau visiteur, sans doute.

Le soleil inondait de lumière les étagères de bois ancien gorgées de souvenirs et d’émotions, et les rangées bruissaient du frou-frou des pages tournées. Oui, c’était une magnifique journée.

1 réflexion sur « Au plaisir de vous lire »

  1. Rex

    Merci Matthy pour mon annini, j’ai bien 32 dents ce jour…enfin!!!
    ;o)
    Les méandres de ta pensée sont mis à rude épreuve…que de choses as-tu à exprimer…pourquoi le genre humain t-intéresse-t-il autant? parcequ’il est complexe me répondras-tu! c’est exacte, complexe et controversé.
    Aurais-tu l’étoffe d’une “star”? oui, car tu es une star pour ceux qui t’aiment…:o)

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