Le samedi au plume-art…

Ce n’est pas facile d’écrire après une semaine haletante et une grasse mat’ stoppée net par le boucan du vent dans les volets, mais l’envie prend le dessus !

Comme promis, voici le début d’une petite histoire; si c’est un début, c’est qu’il y aura une suite, oui oui, c’est promis. Et là vous aurez assez de matière pour rêvasser et (j’espère) me donner des conseils pour améliorer mon style et mes idées.

Petite précision utile: j’introduis ici de nouveaux personnages, de nouveaux lieux… Ne vous inquiétez pas, l’action et les dialogues se feront plus nombreux par la suiite 😉

Allez, banzaï…

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Je suis un papillon. Une chrysalide. Si je devais jamais me libérer de cette prison, ce serait pour finir clouée par le ventre pour le plaisir d’un collectionneur.

La mélancolie de l’automne gagnait Rhacca; depuis la chute des premières feuilles, dans l’éternel jardin intérieur de la résidence Melbome, son moral n’avait cessé de décliner, et elle égrénait les évidences assassines dans sa tête.

Au début, lorsque sa patience et sa joie coutumières avaient montré des signes de faiblesse, elle avait lutté – s’il subsistait encore un espoir pour elle, c’était dans sa tête qu’elle le trouverait, et s’apitoyer sur son sort ne lui apporterait rien de bon. Elle s’était donc fait violence, puisant de l’énergie dans la puissance de ce chêne séculaire qui, à force d’emplir son champ de vision, était devenu un confident silencieux. Elle admirait sa gigantesque envergure, son feuillage éclatant, et surtout son tronc si droit, si fort, qu’aucune tempête ne saurait faire plier.

Puis la chute… Décharné, privé de son tapis rougeoyant par les jardiniers trop zélés, l’ami si fort survivrait, mais tout ce que Rhacca voyait désormais, c’était sa propre faiblesse, sa dépendance, ses rêves aussi illusoires que les larmes de diamant roulant sur les feuilles caduques du chêne lorsque l’aube surprenait la rosée. Elle passerait peut-être cet hiver… Puis un autre… Mais chaque hiver serait plus rude, plus sombre, plus seul, le chêne serait toujours plus vieux, et elle toujours plus fragile.

– Mademoiselle désire-t-elle encore un peu de keel ?

Toute absorbée dans sa morosité, Rhacca n’avait pas entendu entrer sa gouvernante. Pervenche, l’appelait-on – elle avait sans doute un autre nom, mais Rhacca n’en avait jamais eu connaissance.

– Non, merci, répondit-elle à mi-voix. Puis, alors que Pervenche s’apprêtait à sortir: Je suis lasse… Je voudrais me coucher.
– Comme vous le désirez, Mademoiselle.

Rhacca devinait aisément que la vieille femme n’approuvait pas ce choix: le soir était loin d’être tombé, et elle savait très bien qu’elle ne se lèverait pas avant le lendemain. Sans parler du dîner qu’elle manquerait à nouveau – mais elle n’en était plus à un repas près. Pervenche glissa ses bras raidis par l’âge et le service sous ses épaules et ses cuisses, et déposa Rhacca sur son lit somptueux.

Cela, elle ne pourrait jamais le reprocher à sa mère: toute indésirable qu’elle fût à ses yeux, elle avait tout de même hérité du lit le plus luxueux de toute la maisonnée. Pieds sculptés dans l’ébène par un illustre artisan grivien, matelas de plumes d’autruches du Pelk, draps de soie brodée à l’effigie d’une ravissante jeune fille qu’elle aurait pu être dans une autre vie – tout était presque trop confortable. Elle n’est bonne qu’à dormir, autant qu’elle le fasse dans le confort, telle avait dû être l’explication donnée par sa mère à l’intendant pour justifier de tels frais.

Mais luxe et raffinement n’achèteraient jamais ni tendresse, ni respect, et lorsque Pervenche eut achevé de la préparer, Rhacca s’endormit la glace au coeur.

 

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Aussi vite que ses jambes pussent le porter, Eirko Sikos dévala les ruelles escarpées du coeur – trompeusement silencieux – de Bar, glissa sur un toit d’ardoises, dégringola le long d’une gouttière branlante et reprit sa course vers la périphérie. Ses tempes pulsaient trop fort pour qu’il entende à quelle distance se trouvaient ses poursuivants, mais il ne doutait pas de pouvoir les semer grâce à sa connaissance parfaite de la ville.

Il n’y avait personne dans les artères principales, tous les volets étaient clos; pourtant, Eirko aurait parié que la moitié des Barris scrutaient l’extérieur au travers du judas de leur porte ou d’une lucarne entrebâillée. Ils étaient au courant de la descente de cette nuit, n’avaient pas prévenu leurs voisins, leurs frères – et maintenant, ils observaient la scène avec une fascination soumise.

Personne ne sortirait de sa maison pour le ralentir, ni n’avertirait les Donates du chemin qu’il avait emprunté: la plus totale inaction était leur morale, et le vendre aurait été, pour eux, le véritable acte de trahison. En quelque sorte, malheur à celui qui serait capturé, longue vie aux autres.

Eirko connaissait bien cette attitude: il avait grandi entouré par ces pleutres. Mais lui ne serait jamais un lâche… Il simulait assez bien sa soumission pour survivre, et guettait l’instant de sa vengeance.

Viens, viens, mon roitelet,
Accueille mon sourire, regarde moi rire,
Aie foi en moi, cours dans mes bras,
L’heure viendra où je me vengerai
De toi

La chansonnette avait été écrite par une femme bafouée, mais le jeune garçon y avait tout de suite vu un autre sens. Comme bien des refrains entonnés au Skitch, la taverne ouvrière que tenait sa tante.

La méfiance d’Eirko pour l’occupant lui avait été transmise par son père, et elle s’était muée en haine féroce, brûlant son âme de gamin de quinze ans, lorsque Mione lui avait été enlevée. Les autres exactions, seules, auraient engendré rancoeur et colère, mais ce crime contre sa soeur avait fait de lui une âme vengeresse, définitivement incapable de pardon ou de pitié.

Tout avait été très vite. Son père avait participé à une expédition “commando” avec cinq autres ouvriers, expédition dont l’unique objectif était de sortir du territoire contrôlé par les Donates pour aller chercher de l’aide dans les provinces environnantes. Ce qu’il se passait à Bar – et dans les autres villes tombées sous le joug cruel de ces monstres aux cheveux courts et au regard de glace – révolterait les souverains de Tysan, d’Ienon ou même de Safran. Encore eut-il fallu qu’ils en aient connaissance.

Hélas, l’escouade était tombée dans un traquenard, trahie par le père de l’un de ses membres – déshonneur ultime –  et les six “rebelles” avaient été exécutés en public, à la mode donate, à savoir par écartèlement. Mais les bouchers ne s’étaient pas arrêtés là…

Le traité d’allégeance de Bar, joyau d’hypocrisie s’il en était, stipulait que six jeunes filles seraient chaque année choisies et emmenées par les généraux aux yeux bleus, qui les utiliseraient à leur guise puis, lorsqu’elles ne seraient plus que des loques à l’âme morte, les offriraient comme distraction à leurs soldats. Chaque équinoxe de printemps voyait des fleurs arrachées à leur destin, et leurs pétales flétris et sanglants étaient généralement retrouvés sans vie quelques mois plus tard, en pleine rue.

Ce n’était que la plus abominable des expressions du diktat censé assurer la protection de la ville – en réalité, les Donates se plaisaient à leur rappeler que c’était un moindre mal: ils auraient pu exiger que toutes les filles leurs soient “livrées”, expliquaient-ils avec un sourire carnassier.

Lorsqu’ils avaient arrêté les six rebelles, ils ne s’étaient évidemment pas contentés de les démembrer à grands renforts de coups de fouet et de mutilations subsidiaires: ils avaient pris soin de briser aussi leur âme. Ainsi, parmi d’autres, Mione avait été traînée jusque dans une pièce où son père allait assister pendant des heures à sa mise à mort. Eirko n’avait jamais su ce qu’il s’était exactement passé dans cette pièce, mais il ne l’imaginait que trop bien. Son père en était sorti inconscient, mais sans la moindre trace de coup. Lors de sa mise à mort, pas un cri n’était sorti de sa bouche, pas une larme n’avait coulé sur ses joues ravinées: si son sang coulait à flot de ses jambes et bras arrachés, c’était ce qu’il s’était produit dans cette pièce qui l’avait tué.

La cruauté des Donates n’était pas un fait nouveau pour Eirko. Mais la perte et, surtout, les sévices que sa soeur avait subis, elle, l’être qu’il idolâtrait le plus au monde, cet astre qui illuminait sa vie de sa présence, alliage de tendresse et d’énergie pure – telle la pointe de la Flèche qui, jaillissant inlassablement des cinq étoiles de l’Arc en direction du sud, guidait marins et voyageurs, elle était le repère immuable de la vie d’Eirko; l’espoir avait été balayé, le chaos avait anéanti la lumière.

Depuis ce jour, Eirko avait multiplié les actes de vandalisme; chaque possession donate brûlée était un pas de plus dans sa vendetta, et il avait pris de plus en plus de risques, jusqu’au meurtre d’un officier, hier. L’assassinat ne devait pas encore faire partie de ses plans, mais il avait été surpris en plein sabotage d’une échelle, et il n’avait eu d’autre choix que de se battre. La chance lui avait souri: son adversaire puait la débauche et le lard, et maniait sa lame avec autant d’adresse qu’un poussah jouant des claquettes. Eirko s’était même payé le luxe d’éviter tout tache de sang sur son gilet…

Hélas, les Donates l’avaient vite suspecté du crime. Lorsqu’il avait vu leur détachement – 12 hommes ! Rien que pour moi ! Ces chiens commencent donc à me prendre au sérieux – manoeuvrer autour de la taverne, Eirko avait emprunté la sortie de derrière et filé ventre à terre, sans avoir le temps de dire adieu à sa tante, et avait laissé derrière lui les ruines de son passé.

Il fut presque surpris de l’aisance avec laquelle il franchit l’enceinte de la cité. Le désert est un obstacle bien plus dangereux et dissuasif que ces remparts, comprit-il; il n’avait sur lui qu’une gourde à moitié vide, et son instinct de survie ne lui suffirait certainement pas dans cet environnement hostile.

Mais il était trop tard pour faire marche arrière: sa tante était sans doute torturée, à présent, peut-être même déjà morte, et les décombres du Skitch véhiculeraient longtemps les dernières notes qu’elle y avait entonnées.

Se tournant vers les dunes, Eirko enfouit en lui les élancements de son coeur, affermit sa résolution et partit vers l’est, laissant la ville martyre derrière lui.

7 réflexions sur « Le samedi au plume-art… »

  1. Mme Berger

    Je suis époustouflée par ton écriture. Les phrases sont très belles bien que l’histoire ne paraissent pas très rose. Au moins pour le commencement. J’espère que tu aimes les histoires qui finissent bien sinon je vais pleurer tout le long!
    En tout cas, bonne continuation.

  2. Matthy

    Merci M’dame (mince alors c’est la première fois que je t’appelle comme ça… ouille) 😉
    Bien sûr ce n’est pas rose, mais c’est le début ! J’espérais envoyer une suite aujourd’hui mais ce n’est pas prêt, honte sur moi…
    Mais ne t’en fais pas il n’y aura pas que du sang et des larmes par la suite 😉
    Merci encore !! Je réponds à ton mail demain :-p A+

  3. FliB

    Gasp! En effet c’est noir pour un commencement. Noir plutôt rouge même. En tout cas, la lecture coule toute seule, le texte est très agréable à parcourir.
    Pas de heurt,
    on se meurt
    de très vite
    lire la suite!

  4. Matthy

    Merci FliB… 4 commentaires en une heure, woah, ça c’est un boost. Avec une petite versification en prime 🙂 Je suis gâté.
    La suite, je ne l’ai pas encore goupillée, mais ce sera au plus tard ce week-end !
    A+ :o)

  5. Sylvain

    Bonjour à tous !
    ça se lit effectivement tout seul ! C’est vraiment bien écrit !
    Pour le côté noir, ça donne encore plus envie de lire la suite !!
    Vite vite, que je clique sur le lien suivant 😉
    à+

  6. Irsjéjé

    Je commence tout doucement à lire ton récit ; J’ai lu le 1er mais pas encore celui-là.
    une petite question : j’ai bcp de mal à lire sur écran, me permets-tu d’imprimer ? 😉
    Sinon la 1ere partie etait prometteuse, ton style me plait assez, et m’invite a continuer…
    Ton clin d’oeil sur MSN était pour Rhacca ? j’ai déjà croisé ce pseudo sur une ancienne partie 4e Ano si je ne m’abuse… ?

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