Et un, et deux, et trois chapitres. Ce serait sympa de laisser des commentaires, j’ai un poil l’impression de me parler tout seul là 🙂 Je sais qu’il y a des visites (une quinzaine par jour apparemment), mais si presque personne ne donne son avis (merci à celui et celles qui justifient le ‘presque’), je vous préviens, je vais déprimer…
Alors, exprimez-vous, rogntudju ! 😀
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Il avait plu toute la nuit, aussi bien dehors que dans les songes de Rhacca. Elle s’était vue debout, comme souvent, plantée comme un arbre sur la chaussée d’une route rectiligne qui s’abîmait dans l’horizon de chaque côté d’elle. Elle goûtait l’eau qui la trempait avec l’ardeur d’une fleur assoiffée, et écartait les bras pour mieux sentir le vent.
La route avait disparu; Rhacca était tombée, se trouvait à genoux au milieu de l’obscurité. Ses forces imaginaires l’avaient fuie; seuls ses vêtements trempés attestaient de la scène précédente. Elle s’était alors réveillée en sueur, et les bourrasques incessantes martelant les volets l’avaient empêché de refermer l’oeil.
Après ses ablutions matinales, Rhacca, assise dans son fauteuil aux larges accoudoirs, laissait déjà dériver son regard vers le chêne lorsque Pervenche lui dit d’un ton qui lui parut moins sec qu’à l’habitude:
– Votre présence au déjeuner comblerait votre mère, Mademoiselle.
Rhacca tenta de dissimuler sa stupéfaction.
– Vous devez vous tromper, Pervenche, rétorqua-t-elle. Vous confondez avec quelqu’un d’autre.
– Assurément pas, Mademoiselle, insista la vieille gouvernante. Madame Melbome a été on ne peut plus claire.
– Un des guignols qui lui courent après lui a sans doute posé un lapin, et elle va passer son humeur sur -..
– Vous ne devriez pas parler ainsi, Mademoiselle Rhacca.
Qu’y avait-il dans ce regard ? Fermeté, loyauté, assurément, mais aussi… Compassion ? Son esprit devait lui jouer des tours: Rhacca ne se souvenait pas d’avoir reçu la moindre marque de tendresse de Pervenche, ni de personne à vrai dire.
– Soit… Avez-vous une idée de… l’objet de cette entrevue ? Ma mère ne m’a pas adressé la parole depuis une éternité.
– Je ne peux vous répondre, Mademoiselle; j’en suis comme vous réduite à faire des suppositions, et il serait préférable que vous en jugiez par vous-même.
En a-t-elle assez de m’entretenir dans l’oisiveté ? Notre fortune s’est-elle réduite au point de ne plus lui permettre de maintenir en vie sa fille unique ?
Ou est-ce plus grave encore ?
Rhacca n’accordait plus de réelle valeur à son existence; elle se contentait d’observer avec cynisme et détachement les ravages du temps sur le monde qui l’entourait. La perspective d’une confrontation avec cette étrangère qu’était sa mère l’inquiétait, l’intriguait, la fascinait, mais toute l’angoisse du monde serait infiniment plus douce que l’ennui.
Elle vida d’un trait son bol de keel et rassembla ses idées.
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– Reveux-tu de la viande ? Tu as maigri, tu sais.
– Non, merci, Mère.
Rhacca s’attendait à une allusion à sa faiblesse suite à ce refus, mais non, toujours rien. Depuis son arrivée, la conversation avait été parfaitement neutre – sa mère se comportant comme si elles s’étaient vues la veille, et Rhacca retenant ses remarques acerbes. Elle s’était préparée à une avalanche de reproches, à une joute verbale violente et cruelle; elle avait même imaginé que sa mère l’ait invitée à un déjeuner public où elle aurait tout loisir de l’humilier et d’afficher son dégoût aux yeux de sa petite sphère d’amis mesquins, nobliaux vaniteux ou bellâtres jouant les amoureux pour mieux approcher sa fortune.
Mais rien de tout cela n’était au menu. Rien que des banalités: la juteuse saveur des melons et la cuisson de la volaille; les haies du jardin qu’il faudrait tailler; la pluie qui semblait s’être installée pour tout l’hiver; la fille aînée de Mme Deleon qui s’était enfin mariée.
Cela ressemblait à une trêve, et elle sentait le soulagement la gagner lorsque, dès le dessert achevé, sa mère reprit, la voix imperceptiblement plus basse:
– Tu vas devoir choisir, Rhacca.
Celle-ci se figea, reconnaissant le danger dans l’intonation de sa mère.
– J’ai été très patiente, tu sais. Mais cela ne peut plus durer.
Elle leva vers elle des yeux qui la pétrifièrent, mais elle y lut aussi, pour la première fois, que sa mère tentait de lui parler comme à une femme adulte.
– C’est simple. Soit tu endosses ton rôle d’héritière, soit tu quittes cette maison.
Aucun mot ne devait être ajouté; Rhacca comprenait parfaitement les implications de ces deux alternatives.
Ienon était une cité dirigée par les femmes. Les hommes n’y étaient pas inférieurs, ils remplissaient sensiblement les mêmes tâches que partout ailleurs – mais chaque maison, chaque boutique et chaque famille était placée sous une autorité féminine. Le système avait ses avantages, et comptait bien sûr de nombreux détracteurs – y compris des femmes. Mais cette tradition était immuable, et la famille Melbome n’y échapperait pas.
Héritière. Femme de pouvoir, femme mondaine; au four, au moulin et à la baguette. Sa mère réalisait-elle combien l’inertie de son corps frêle lui barrait cette voie ? Ou croyait-elle encore à des caprices de petite fille paresseuse ?
Héritière; femme riche. De fait, femme courtisée. Si sa mère avait déjà toutes les peines du monde à trouver un compagnon dont l’intérêt et l’amour ne soient pas feints, qu’en serait-il d’elle ? Elles avaient déjà discuté de ce point, quelques mois plus tôt; Rhacca avait déployé tout son arsenal verbal pour que passe l’idée folle de sa mère de la marier à tel ou tel étalon de service.
Elle ne serait jamais à la tête d’une maisonnée telle que celle-ci; elle ne serait jamais une épouse convenable, même pour un de ces pervers qui empestaient le grand hall lors des réceptions de la "famille" Melbome. Elle ne pouvait pas être héritière, et sa mère le savait parfaitement. Cette petite phrase équivalait donc à un solide coup de pied aux fesses: ma fille, dégage, tu n’es plus ma fille.
Devait-elle résister ? Montrer sa bonne volonté, tenter d’être une héritière à la mesure de ses moyens, se soumettre aux desiderata de sa mère ? Elle brûlerait sans doute ses dernières forces dans la bataille; l’hiver ne serait pas son seul bourreau cette fois.
Ou… Partir ? Mais où ? Qui pourrait bien vouloir d’elle ?… L’hospitalité ne s’appliquait pas à une infirme inutile, incapable de la moindre tâche; elle n’était bonne qu’à se laisser mourir.
Qu’avait-elle pu espérer d’autre ? Tel dénouement était prévisible; elle n’avait pas nié l’évidence, juste retardé l’échance. Son fatalisme ne la sauverait plus. Finirait-elle dans un égoût, dans un bordel, dans l’estomac d’une colonie de rats ?
Sa mère dut la voir esquisser un sourire, se méprit sans doute sur son sens, et se leva sans un mot. Quelques instants plus tard, Pervenche vint la chercher, cachée derrière le masque impénétrable qu’elle lui connaissait bien. Tandis qu’elle gravissait l’escalier dans les bras de sa gouvernante, Rhacca se demanda si, un jour, sa mère l’avait seulement aimée.
Comment ca pas de commentaires? Mais qu’est ce qu’ils font donc tous? Allez, un petit post et ca repart!
Alors, quelle decision va-t-elle prendre? La suite, la suite!
Un p’tit commentaire alors…
C’est bien écrit, en tout cas, c’est sûr 😀
Il y a des phrases un peu longues (ah oui, je fais une critique générale des 3 “parties” déjà écrites), mais ça se lit bien, le vocabulaire est précis, et il y a de belles descriptions, moi je dis !
L’histoire est bien partie, alors… la suite !
Y’a pas à dire, c’est vraiment bien écrit ! et ça se lit tout seul !
J’aime franchement bien !
le plus dur, c’est d’attendre la suite 😉
mais bon, ça va venir, je n’en doute pas un seul instant !