Avant-garde

Chapitre 11. Tagada… Tsouin, tsouin !

Pour aider les retardataires à se retrouver dans tous ces chapitres, voici un petit aide-mémoire:
01 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/7-Plume-vole.html#extended
(intro sur Loni)
02 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/11-Le-samedi-au-plume-art….html#extended
(intro sur Rhacca et Eirko)
03 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/12-Le-desert-est-servi-!.html#extended (Eirko dans le
désert)
04 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/13-Coeur-pluvieux.html#extended
(Rhacca et ses petites misères domestiques)
05 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/17-Pique-a-sot.html#extended
(Rhacca chez elle, Eirko à Ienon)
06 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/18-Shikata-ga-nai.html#extended
(rencontre nocturne)
07 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/27-Rhaccaille.html#extended
(arrivée à l’auberge)
08 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/29-Muse,-le-retour.html#extended
(première partie à caler entre le 6 et le 7; suite de l’auberge)
09 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/31-Harangue-fumee.html#extended
(Loni et les joies de la politique)
10 – http://matthy.dyndns.org/blog/index.php?/archives/34-Songe-dune-nuit-dete.html#extended
(mélodie en sous-sol pour Rhacca)

Maintenant que votre mémoire est rafraîchie, voici la suite, où l’on retrouve Loni aux premières loges d’un tournant de l’histoire… Cette partie est assez narrative, elle manquera peut-être d’action au goût de certains, j’en suis conscient mais c’est nécessaire pour la cohérence du scénario. J’espère simplement être parvenu à ce que ce ne soit pas trop barbant 😉

Dernière remarque avant de vous laisser bouquiner: j’ai enfin pris le temps d’établir une carte de ce monde, du moins pour le continent sud (Grive/Brisle)… Je ne la mets pas encore en ligne car elle est incomplète, mais si cela peut vous aider à vous repérer, n’hésitez pas à me la demander. Voilà, j’ai fini de papoter, place à Loni maintenant 🙂



Les guerres se gagnent avant même d’avoir débuté, et l’image qu’en renvoient les ballades épiques est pour le moins incomplète. Aux premières loges des préparatifs, Loni tentait de comprendre et d’assimiler toutes les subtilités de la logistique d’une telle opération: Granz ne laissait visiblement rien au hasard, et accordait autant d’attention à l’attribution des armes qu’au stockage et à l’acheminement des vivres. Brisle était tout de même à quatre-vingts jours de marche de Grive, et nul ne savait combien de temps durerait le conflit.

De la mansarde de sa chambre au Relais, Loni ne voyait que quelques fumées indistinctes à l’est, mais leur étendue témoignait de la vaste superficie occupée par les campements. Des milliers de fermiers et de villageois de toute la région avaient répondu à l’appel du Seigneur Granz; les hommes valides s’étaient vu assigner un équipement militaire sommaire, les autres étant soit enrôlés dans l’intendance, soit renvoyés chez eux pour veiller sur leur famille. Les anecdotes ne manquaient pas sur ces vieillards marchant avec peine qui s’étaient empressés d’offrir leurs services de "vétérans"; Loni imaginait les trésors de diplomatie nécessaires pour leur faire comprendre que cette nouvelle guerre ne serait pas la leur.

La vie quotidienne du Relais avait, elle aussi, beaucoup changé ces derniers jours. Les contacts avec l’ouest avaient été rompus, et plus aucun message n’avait été reçu ou transmis par le Relais en lui-même. Toutefois, celui-ci était devenu le port d’attache des chevaux coursiers qui amenaient au Seigneur Granz les rapports d’observation réguliers des éclaireurs; habitués au silence, les acolytes montraient clairement leur désapprobation face au chahut des hommes et des bêtes, mais Loni ouvrait grand ses oreilles.

Le peu d’informations qui étaient parvenues jusqu’à lui le confortaient dans son idée: Brisle ne s’apprêtait pas à faire la guerre. Les éclaireurs s’étaient approchés à quatorze lieues de Brisle et n’avaient croisé en route que des fermiers et des chasseurs; pas le moindre signe de préparatifs militaires. Nul doute que désormais alertés, les brisliens allaient s’efforcer de rattraper leur retard et préparer une défense; Granz fournirait celle-ci comme preuve que Brisve envisageait une guerre depuis longtemps, et personne ne viendrait le contredire.

Loni profitait par ailleurs de ses périodes de repos pour fureter dans la bibliothèque; coup de pouce du destin, Ensar avait contracté une pneumonie, et la petite salle tout en longueur était constamment déserte. Il passa de longues nuits à tenter de déchiffrer des manuscrits poussiéreux, jusqu’à ce qu’il découvre quelques feuillets explicitement dédiés aux enfants pour leur apprendre la lecture. Ils dataient d’une autre époque – le Relais n’avait pas accueilli d’apprenti depuis l’arrivée de Loni, et le plus jeune des acolytes avait plus de trente ans -, mais ils lui furent d’une aide précieuse, et il fut bientôt capable de reconnaître quelques mots.

Afin de ne pas retarder la livraison des message et éveiller des soupçons, il s’habitua à mémoriser fidèlement leur contenu, puis à le reproduire le soir venu en traçant les lettres sur une table poussiéreuse, afin d’avoir tout le temps de les déchiffrer. Son premier succès ne fut guère instructif: un chiffre zéro barré, suivi d’une signature: "Gorwyn". La plupart des messages des éclaireurs ressemblaient à celui-ci, mais Loni ne désespérait pas de dénicher une information cruciale.

Restait à savoir ce qu’il en ferait. Détruire le message était risqué; le falsifier l’était encore davantage, tant qu’il ne saurait pas écrire décemment. Il n’osait parler de ses projets à personne, et n’imaginait pas enrayer à lui seul la machine de guerre du Seigneur Granz… Mais il refusait de baisser les bras: il devait réunir des informations et des idées dans l’attente du jour où le vent lui serait favorable.

Loni ne put assister à la seconde allocution publique du sire de Grive: tous les chevaux du Relais avaient été mobilisés ce jour-là. Mais à l’expression étrange qui flottait sur les visages des cavaliers revenant du château, il devina que Granz avait décidé d’ouvrir pour de bon les hostilités. Le lendemain matin, la plaine se soulevait, le cuir crissait et le bruit des bottes et des sabots faisait écho aux gigantesques tambours montés sur les flancs des mules géantes de Ronkarr.

L’esprit aussi gris que le ciel, Loni maudissait son impuissance lorsqu’il vit de sa chambre une jument blanche entrer dans la cour du Relais. Le cavalier qui en descendit lui était familier: le Ministre Jorem avait l’air pressé et soucieux, mais il n’avait rien perdu de son assurance. Loni descendit au rez-de-chaussée à vive allure, et se mêla à l’attroupement qui s’était formé. Jorem discutait avec les éclaireurs; il leur expliquait qu’ils seraient désormais basés sur l’aile gauche de l’armée, non loin de sa propre tente, et qu’ils devraient lui effectuer leurs rapports en personne.

Lorsqu’il eut fini, les éclaireurs prirent congé et les yeux de Jorem se posèrent sur Loni.

– Tiens donc ! Notre jeune messager. Tu pars avec les éclaireurs ?
– Heu… Je ne sais pas.
– C’est sans doute là que tu seras le plus utile. Va, c’est décidé, je vais régler ça. Prépare tes affaires et adresse toi à Arlo pour les détails.

Il se retourna d’un pas vif et regagna sa monture, laissant Loni désemparé au milieu de la cour. Devait-il se réjouir de rester au coeur de l’action et de garder une chance de modifier le cours des événements ? Sans doute. Mais cela signifiait aussi abandonner les études à la bibliothèque, le calme apaisant du Relais… la tranquillité d’une vie sédentaire. Il ne s’imaginait pas en éclaireur vagabond, silhouette furtive explorant le terrain au-devant du gros des troupes…

Mais Jorem ne lui avait pas laissé le choix. Il chassa ces pensées inutiles de son esprit et regagna le bâtiment principal du Relais.
 


 
La forêt, plongée dans l’obscurité, murmurait de toutes parts. Les frondaisons interceptaient la clarté du dernier quartier de lune, tandis que les ultimes braises du feu de la veille s’éteignaient en silence. L’aube ne serait pas là avant deux bonnes heures, et Loni montait la garde dans le noir.

L’oreille aux aguets, il veillait sur ses compagnons: trois éclaireurs, sous l’autorité d’Arlo, en mission d’exploration dans la vallée de l’Equille, principal garde-manger des brisliens, au nord-est de la capitale. Il s’agissait principalement d’inventorier la région, de mettre les cartes à jour, afin de pouvoir l’exploiter (ou la piller, selon le point de vue) pendant un éventuel siège.

Mais ils ne seraient pas sur place avant une douzaine de jours: la traversée du col des Charognards n’avait rien d’évidente à cheval, et les Bois de Fer s’étendaient bien au-delà de la chaîne de montagnes. Ralentis par ces obstacles naturels, ils n’en gagnaient pas moins un temps précieux sur l’armée de Grive qui contournait le relief par le sud. Si tout se déroulait comme prévu, Loni et ses compagnons auraient plus d’une lune pour explorer l’Equille avant de rejoindre l’armée, à moins de cent lieues de Brisle.

L’esprit de Loni lui jouait des tours; il lui semblait entendre des pas, des chuchotements, et il ne se sentait pas le courage d’aller vérifier les alentours. Après tout, les quatre chevaux étaient calmes: eux n’avaient pas peur du vent et des oiseaux noctures…

Loni repensa aux événements des jours précédents pour évacuer son angoisse. Les éclaireurs avaient passé deux jours au sein de l’armée de Grive, avant qu’un premier groupe, le sien, ne soit envoyé au nord-ouest en direction de la vallée de l’Equille; les autres éclaireurs attendraient d’avoir contourné la pointe sud du massif montagneux pour s’élancer au-devant des troupes.

L’équipe commandée par Arlo n’avait pas eu à trop ménager ses montures pour le moment: quatre pur-sangs frais et vigoureux les avaient attendus dans une ferme à la lisière des Bois de Fer. Granz avait à l’évidence tout prévu depuis bien longtemps, mais les compagnons de Loni ne firent aucun commentaire. Ils se contentèrent d’échanger leurs montures avec le vieux fermier; Arlo glissa quelques piécettes dans sa main calleuse et l’épisode fut clos. Loni imaginait que de telles dispositions avaient été prises sur le chemin des troupes pour faciliter l’approvisionnement en vivres; peut-être même Granz avait-il payé de simples paysans pour acclamer l’armée en marche et redonner le moral aux soldats… Rien ne lui semblait trop retors pour être invraisemblable.

Quelque chose remua derrière lui, tout près. Il se retourna brusquement et se retint de soupirer de soulagement pour ne pas trahir sa frousse: Jimoti se levait et venait vers lui pour prendre le dernier quart de garde, jusqu’à l’aube.

A peine plus âgé que Loni, "Jimo" avait pourtant bien plus d’expérience et d’assurance que lui: fils aîné d’un tisserand coté, il s’était engagé dans l’armée à onze ans et semblait promis à une belle carrière militaire. Encore un peu jeune pour se voir confier des responsabilités, il se soumettait aux ordres de bonne grâce mais guettait sans cesse la moindre occasion de briller. Son zèle et sa bonne volonté en auraient fait un compagnon d’aventures appréciable s’il avait pu se départir de son arrogance et de son éternel sourire condescendant. Loni enviait sa réussite et ses qualités trop évidentes, et, de fait, le détestait.

– Tu peux retourner dormir, Loni, je prends le relais.

Jimo perdit fièrement son regard dans l’obscurité, l’air de dire "seuls les gosses ont peur du noir", puis jeta un regard paternel sur Loni avant de s’asseoir. Celui-ci aurait aimé pouvoir le mépriser mais sa conscience le lui interdisait: après tout, c’était à lui, Loni, de s’inspirer des qualités de Jimo, et seulement alors il pourrait se permettre de porter un regard critique sur ses défauts. C’était du moins ce que les prêtres lui avaient inculqué.

Que penseraient-ils de sa situation aujourd’hui ? Que lui conseilleraient les Ames Nobles en ces circonstances ? Le Preux lui ordonnerait de rester fidèle à son Seigneur en toutes circonstances. L’Aïeule lui suggèrerait sans doute de faire preuve d’humilité, lui qui était à peine plus qu’un enfant, et de remettre son destin entre les mains d’individus plus avisés. Mais l’Héroïne…? Ne lui insufflerait-elle pas le courage du doute, la force de la rébellion, elle qui avait agi contre l’avis de son père et de ses pairs pour sauver la cité de Grive en des temps immémoriaux ? Le Pâtre n’estimerait-il pas qu’oeuvrer pour la survie du troupeau humain valait tous les sacrifices ?

Que n’existait-il pas, en cette forêt sombre et inhospitalière, un temple, une chapelle où les interprètes des voix des Ames Nobles sauraient démêler les fils de sa pensée… Loni se serait peut-être décidé à exprimer ses dilemnes à Arlo si celui-ci n’avait ostensiblement affiché son mépris de la religion, à plusieurs reprises déjà. Jimo et Urlod avaient ri à chacun de ses blasphèmes; eux non plus n’écoutaient pas la musique des voix Nobles. A qui Loni pourrait-il donc s’en remettre ?

Il ouvrit les yeux et vit que l’aube était proche; les arbres les plus proches se détachaient de l’épaisse brume matinale. Deux yeux brillants épiaient le petit groupe depuis un fourré; sans doute un renard. Loni se leva, s’étira et plongea dans son paquetage pour y dénicher de quoi déjeuner: ses pensées seraient sans doute plus claires lorsqu’il n’aurait plus le ventre vide.

1 réflexion sur « Avant-garde »

  1. Léa

    ça avance, ça avance… encore un bel épisode, mais je dois dire que j’attends encore plus la suite de l’histoire de Rhacca ! J’espère que tu trouves le temps pour écrire et que l’on saura bientôt la suite…
    Bon courage !

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